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mercredi 1 novembre 2017

Sans raison apparente

Sans Raison apparente paraît officiellement aujourd'hui aux éditions Pygmalion. Ce roman me  tient particulièrement à cœur, pour tout un tas de raisons, sa forme (courte), des petites touches qui laissent deviner beaucoup de non-dits, ses thèmes : mensonges, ce que l'on fait aux autres, ceux que l'on se fait, difficulté d'être soi, liens avec les chevaux, ce que l'on ressent, ce que l'on nous dit (assène), ce que nous devenons, grâce à eux, une fois que nous cessons de craindre le jugement, le regard de l'autre et que nous faisons confiance à nos ressentis. 





Après un parcours classique, Rachel est devenue une épouse modèle. Terne, fatiguée, elle sur(vit) et s'efforce péniblement de suivre les traces de sa mère, bourgeoise fortunée de la banlieue de Washington D.C. Jusqu'au jour où cette dernière se suicide. Sans raison apparente. Sa mort, l'enterrement, le défilé des oiseaux noirs, la jeune femme les subit dans un état second, comme au spectacle. Elle passe une journée à errer dans la maison parentale, se rend compte que sa mère n'a laissé aucune trace - comme si cette dernière n'avait jamais existé. Sur le chemin du retour, Rachel voit des chevaux dans un champ. L'un d'eux, un grand palomino, se cabre au moment où la voiture les dépasse. Cela lui rappelle un rêve inachevé. Un rêve de voyage et de liberté.

Ci-dessous, un extrait (épreuves non corrigées) : 
Parce qu'on nous apprend tellement à douter de nous, à chercher l'approbation, à dépendre des autres que nous en oublions d'être, simplement...

J’ai lu des romans, des témoignages, décrivant, déclinant sur tous les modes, la fusion entre un cavalier et sa monture. Naïve, je rêvais de cet amour lorsque je suis arrivée au Spirit ranch. Je ne pouvais que l’imaginer, à la manière d’une adolescente pétrie de récits et de films sur les chevaux, mais je ne l’avais pas vécu.
Et puis, j’ai rencontré Djinn.
C’est une chose de plonger avec un personnage de fiction, dans un maelstrom d’émotions, de joies et de peines, de frissonner, frémir, vibrer à distance. C’en est une autre de l’éprouver réellement, d’en ressentir l’exigence, la complexité, la profondeur. Et curieusement, je ne m’y attendais pas.
Je n’étais pas prête pour cela.
Je ne le suis toujours pas.
Et ce matin, j’ai le sentiment d’être un pantin ridicule qui s’agite vainement pour attirer l’attention. Djinn regarde ailleurs. M’échappe, s’échappe, me fuit. En moi, un mélange de frustration, de colère, d’immense tristesse. Je n’y arriverai jamais. Raven demeure à l’extérieur, comme toujours. Je lui en suis reconnaissante. J’aurais trop peur de la réaction de Djinn, avec elle. Peur qu’il lui obéisse. L’accepte, alors qu’il ne veut pas de moi. Tant bien que mal, je suis les indications de mon instructrice et amie. Je m’accroupis, demeure immobile, tête basse. M’efforce d’évacuer les tensions qui m’habitent. Je n’y parviens pas. Tout, en moi, n’est que confusion, chagrin, chaos.
Djinn s’approche de moi, pourtant. S’arrête, à un mètre et m’observe, prudent. Soudain, je n’en peux plus. Je ne supporte plus cette réserve, cette distance. Je m’effondre, m’enfuis, m’enferme dans ma chambre, comme une enfant au cœur brisé, incapable de contenir le flot de ma détresse.  Une main tiède se pose sur mon épaule. Raven.
— Pourquoi il ne m’aime pas ? Qu’est-ce qui ne va pas chez moi ? Je n’y arrive pas, je… Je ne supporte plus… Il me déteste…
Un étau compresse ma poitrine, j’ai la sensation de me noyer. Raven me berce jusqu’à ce que mes pleurs se tarissent, apaisant mon chagrin avec une berceuse shoshone.
Enfin, mes sanglots cessent.  Mes yeux me brûlent. Je suis à bout de force, hoquetante, fiévreuse.
— Viens, naipittsi[1].
Avec douceur, elle m’aide à me lever et me conduit dans sa cuisine. Fredonnant une nouvelle chanson dont les sonorités bruissantes m’apaisent, elle fait bouillir de l’eau, y jette une poignée de plantes odorantes que je suis incapable d’identifier. Une fois la tisane infusée, elle prend dans un placard une boîte de biscuits et l’ouvre avant de s’installer devant moi. Enfin, une fois les premières gorgées avalées, elle pose les coudes sur la table, croise les doigts sous son menton et me contemple longuement.
— Pourquoi penses-tu que Djinn ne t’aime pas ? demande-t-elle finalement.
— Je fais tout ce que je peux, je passe du temps avec lui, j’essaie de le mettre en confiance et lui… Il… il ne m’écoute pas, dis-je, la gorge de nouveau nouée. Il est sur la défensive…
— Toi aussi.
— Mais je…
— Tu lui demandes de t’accepter telle que tu es, avec toutes tes angoisses, tes contradictions, mais lui, tu le voudrais parfait ? Ça ne marche pas comme ça, naipittsi.
Je voudrais protester, mais les mots s’étranglent dans ma gorge.
Une acceptation totale. Une confiance absolue.
Raven a raison : j’exige de lui ce que je ne parviens pas à lui donner, parce j’ai peur. 
— Djinn t’aime, n’aie aucun de doute là-dessus. Seulement, comment veux-tu qu’il te le montre si tu ne lui en laisses pas la possibilité ?
— Je… comment faire ?
— D’abord, apprends à respirer.


[1] Petite fille, en shoshoni.
 


 

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